La Tribune de Yann Maillet
La première fois que j’ai rencontré Didier Lefebvre, je l’ai détesté. J’avais en face de moi un personnage désagréable, pas aimable pour un sou et incroyablement froid. À l’époque, il était encore président du comité national de roller hockey et sa (mauvaise) réputation le précédait presque partout en France. Plus tard, mes activités professionnelles dans les médias m’ont amené à le revoir, puis à échanger régulièrement avec lui. Jusqu’au jour où j’accompagnais les Mantas de Montpellier à Rethel dans le cadre d’un match de la Ligue Elite. À cette époque les équipes adverses n’avaient quasiment jamais accès au salon VIP après les rencontres mais ce soir-là, « bon si vous êtes avec Maillet vous pouvez rentrer, mais vous m’cassez pas les couilles, vous buvez un coup et après vous vous barrez les blaireaux ». Du Didier dans le texte…
Depuis lors j’ai toujours eu avec lui une relation sincère et respectueuse. Il nous est même arrivé de nous marrer, comme ce jour en 2012, où après m’être fait attraper aux jumelles par ses anciens collègues de la Brigade de Gendarmerie de Rethel, il m’avait sauvé la mise en un coup de téléphone avant d’ajouter dans un grand éclat de rire « ouais il est pas mal cet endroit pour attraper des cons comme toi, c’est moi qui l’ai trouvé »…
Didier Lefebvre était un géant. Un géant du roller hockey c’est vrai, car il a tant apporté à cette discipline sortie de nulle part en fondant ce club et en l’amenant sur le toit de la France et de l’Europe. Mais il était en fait un géant du sport au sens large car combien de présidents de clubs peuvent se targuer d’afficher le palmarès qui fut le sien, en si peu de temps. Rethel est né, grosso modo, en 1998 et à peine plus de 20 ans plus tard les Diables ont été onze fois champions de France, neuf fois vainqueurs de la Coupe de France et huit fois champions d’Europe. C’est immense, même pour un tout petit sport. « Il a su créer quelque chose de fantastique, confie Jimi Lefranc, actuel capitaine des Diables et pionnier à ses côtés. Il a tout fait de ses mains, pour que nous ayons absolument tout ce dont nous pouvions avoir besoin. Quand on jouait à Rethel on ne s’en rendait pas toujours compte, mais quand on a joué ensuite ailleurs, on voyait la différence. Il y avait Rethel et tous les autres et c’était grâce à lui. »
Pour ceux qui ont eu la chance de le connaître au-delà de ces apparences d’homme rustre et râleur, Didier était un géant, tout court, avec un cœur immense. Il aurait tout donné pour son équipe, pour ses joueurs, ses gamins comme il les appelait. Il était entier en tout, autant dans ses coups de sang que dans son attachement à ceux qu’il appréciait.
« Je me suis engueulé mille fois avec lui, et parfois c’était vraiment chaud, avoue Julien Thomas qui passa près de quinze ans à Rethel. Mais je lui dois tellement… Sans lui ma vie aurait été toute différente. On pouvait le détester c’est vrai. Moi je l’ai vu laisser les Grenoblois poireauter deux heures devant la salle avant de bien vouloir leur ouvrir, il était aussi comme ça… Mais quand on le connaissait un peu, et quand on savait quelle belle personne il était au fond, on ne pouvait que l’aimer. Quand j’ai appris sa disparition, j’ai pleuré comme si j’avais perdu un membre de ma famille proche. »
Comme nous tous, il a bien sûr porté une part d’ombre durant ces vingt années à la tête de Rethel, et ces trois années à la tête du Comité. Il a pris des décisions partisanes qui ont plus ou moins favorisé son club, il l’avait admis en ma présence sans honte ni fierté. Il a systématiquement été contre la Fédération et ses instances après son mandat fédéral et s’est opposé à tout, comme par principe. Il n’a jamais vraiment fait quoi que ce soit pour aider l’équipe nationale lorsque celle-ci faisait appel à lui ou à ses joueurs. Il a été fortement décrié pour faire la part belle aux étrangers plutôt qu’aux joueurs français ou à la formation… Toutes ces choses sont des vérités mais à l’heure de lui dire au-revoir, je préfère garder en tête « Eul’Didier » que j’ai connu et qui, un soir de victoire européenne à Rethel m’avait fait une confidence, sur le terrain même d’André-Chausson : « c’est pas mal ce qu’on a réussi à faire ici nan ? » Il ne se mettait jamais en avant, mais il lui arrivait d’être fier de ce qu’il avait accompli et pour cause.
Didier Lefebvre nous a quittés dans la nuit du 9 au 10 février 2020, à 59 ans, après deux années de lutte contre une maladie qui l’avait physiquement transformé. Le géant était alors devenu fragile et c’était touchant, c’était triste de voir les images de cet homme au crépuscule de sa vie… À la conclusion de ces lignes j’ai une pensée pour Corinne, leurs quatre enfants et neuf petits-enfants. Je leur souhaite au nom de toute la famille du roller hockey de trouver le courage qu’il faut pour aller de l’avant. Mais j’ai aussi une très sincère et très amicale pensée pour tout le club de Rethel, bénévoles comme supporters, vous qui m’avez, avec Didier, toujours si bien accueilli. Et enfin, je pense à Laurent Lexcellent, Thiébault Koch, David Fabrégat, Julien Tarte, Julien et Edouard Clisson, Julien Thomas, Terry et Jimi Lefranc, William Richard, Paul Fayault, Fred Corbeil, Stéphane Lacuisse, Matthieu Bouché, Benjamin Bireloze, Orlando Cudicio, Martin Bradette, Ivan Bock, Alexandre et Maxime Naud, Clément Grégoire, Maxime Colas, Ben Muller, Jordan Lallement, Alan Ludig, Tony Rivoire, Karl Gabillet, Baptiste Boitard, Taylor Kane, Patrik Sebek, Ales Chamrad, JB Del’Ollio, Kamil Skacel, Andy Cripps et tous ceux que j’ai sans doute oublié… Tous ses joueurs, tous ses « gamins ».
Repose en paix Didier
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